Période de repos, de détente et d’amusement, les vacances ont souvent inspiré photographes et cinéastes qui se voient entrouvrir dans ces moments de relâchement les portes de l’intime.
A l’époque où un droit à l’image, revendiqué parfois jusqu’à l’absurde, risque d’exclure tout un pan de l’histoire quotidienne de la mémoire humaine, il est heureux que le plus grand nombre accepte la présence curieuse, indiscrète parfois, mais si souvent complice de l’objectif photographique dans ces lieux de vacances que certains auteurs a contrario — tel Götz Diergarten — parcourent hors période touristique. Adepte des projets au long cours, Claudine Doury, récente lauréate du Prix Niepce de la photographie, a pendant plusieurs étés séjourné au camp de vacances Artek en Crimée où pendant des décennies les héritiers de la nomenklatura ont coulé des jours heureux remplacés aujourd’hui par ceux des oligarques, adolescents romantiques qui semblent figés dans une époque révolue.
Vacances éternelles à Sun City, un titre intrigant aperçu dans un magazine allemand qui a entraîné le photographe autrichien Peter Granser dans les rues aseptisées de cette ville champignon, sortie du néant étouffant du désert de l’Arizona : pour y vivre, un seul impératif : être âgé de plus de 55 ans… et être riche ! Curieuse cité, sans enfants, sans écoles sur laquelle Granser a porté un regard qui, sans manquer de tendresse, est chargé d’ironie.
Les piscines et les lieux balnéaires sont les terrains de jeu photographique de Karine Laval, jeune photographe française installée actuellement à New York : espace important de notre culture, ils associent l’élément naturel de l’eau à un contexte urbain aménagé par et pour l’homme, dualité qui se prête à merveille à toutes les recherches graphiques dont la photographe est friande.
Laurence Faure et Valérie Villieu ont, à partir de films super 8 trouvés aux Puces, retracé les vacances typiques d’une famille française dans une installation où se mêlent esthétisme et nostalgie.
Patrick Fournial (Prix Arcimboldo 2005) a, dans Mes vacances à Paris, parcouru les lieux touristiques de la capitale et tiré des aberrations techniques et chromatiques de son appareil photographique « jouet », le jojaflex, une vision originale, insolite et colorée de monuments célèbres et de leurs visiteurs.
Si l’homme est au centre des recherches précédentes, Götz Diergarten a voulu, quant à lui, l’éviter : dans la lignée des Bécher dont il suivit l’enseignement à l’académie de Dusseldorf, il a parcouru hors-saison, les côtes normandes, figeant, en grand format et tons pastels, les cabanons de vacances qui fleurissent tout au long des dunes dans la petite station balnéaire de Gouville.
Claudine Doury:
Artek
« C’est une fiction qui dure depuis trois quarts de siècle, à la fois grandiose et dérisoire, sublime et cauchemardesque, et qui invente, par-delà l’histoire, son propre temps, ses propres règles, ses rites et ses rêves. Un lieu parfait, donc, pour que s’exprime l’intensité des émotions adolescentes des jeunes gens et des jeunes filles auxquels Artek est dévolu…
C’est là que tout a commencé en 1925, avec la création de la République des Pionniers. A la fragilité des tentes du début ont succédé des constructions en dur, des installations confortables, de cantines en dortoirs, de gymnases en belles salles de spectacle. Aux milliers d’enfants méritants ont succédé les rejetons de la nouvelle classe dirigeante, celle de l’argent roi et des enrichissements contestables. Mais Artek reste un îlot hors du temps où une forme singulière de « communisme libéral » s’est mise en place, où l’on achète à prix fort un bonheur factice pour des enfants qui, le temps d’un été, pourront vivre à la fois hors du temps réel et se plonger dans un passé qu’ils n’ont pas connu et qui projetait pour eux un monde idéal.
Artek installe des adolescents dans un espace, dans un temps et dans des fonctionnements qui les détachent du réel, ils s’y échappent de la contingence pour laisser s’exprimer leurs doutes, leur identité, leurs contradictions et leurs désirs.
Ce camp se révèle un terrain privilégié pour l’approche de ce moment de la vie qui fascine Claudine Doury et qu’elle s’attache à mettre en images. Dans ce décor de rêve, alors qu’ils vivent une fiction qui les libère du quotidien, garçons et filles se laissent aller à l’exigence vitale de leur âge : ils jouent et ne jouent pas, adoptent des rôles qui les aident à contrôler ce qu’ils sont — chaotiques dans leurs désirs et leurs impulsions — plutôt qu’à se donner une image. C’est cette fragilité, ces apparentes contradictions et ces abandons évidents que Claudine Doury a saisis, enregistrés, catalogués. La lumière est naturelle, les couleurs sont délicates et sans effet, les situations immédiatement compréhensibles, et l’ensemble reste à la fois séduisant et mystérieux, comme l’exploration d’une carte du Tendre que nous avons avec le temps décidé d’oublier… »
(Christian Caujolle)
(extrait de la préface de Artek, éditions De la Martinière)
Claudine Doury est issue de la tradition photographique de la presse quotidienne. Sans concession, elle s’attache à des sujets sociaux (la jeunesse en France) ou à ses découvertes (l’ex-URSS dans ses marges). Elle mène ses projets sur plusieurs années comme les « Peuples de Sibérie« , série qui lui a valu le World Press en 2000 et le Prix Leica Oskar Barnack. Proche des gens et de leur quotidien, elle développe une volonté humaine et photographique rare et un regard d’une extrême sensibilité qui intègre deux dimensions fondamentales, le passage et le temps.
Ce travail sensible et respectueux du sujet a été récompensé par le Prix Niepce de la Photographie en 2004 et par une bourse « Villa Medicis hors les murs ».
Exposition présentée avec le concours de la galerie Vu, Paris.
Peter Granser:
Vacances éternelles à Sun City
« Je m’intéresse depuis longtemps à la manière dont les États-Unis influencent le monde, tant au niveau politique que dans la vie quotidienne.
Suite à un article paru dans un magazine allemand sur Sun City —, je me suis rendu au fin fond du désert de l’Arizona dans cette « ville du soleil », première cité américaine construite exclusivement pour des retraités.
Il en existe aujourd’hui 70 aux USA… et aucune en Europe.
Toute personne de moins de 55 ans en est exclue le soir venu, il n’y a pas d’enfants et donc pas d’écoles, pas d’agitation. Rien de ce qui fait la vie normale de nos cités !
Les habitants de Sun City se sont enfermés dans cette vie complètement artificielle, retraités riches et déjantés aux tristes villas clonées.
De la piscine au salon de coiffure, d’une hot-dog party à un concours de majorettes, du stand de tir au bureau du shérif bénévole, ces « heureux retraités » coulent une vie dramatiquement préservée du monde extérieur, à l’abri de murs et grillages sous alarme, protégés 24 h sur 24 par une police privée.
J’ai curieusement été bien accueilli parmi eux et ils ont apprécié ces images… Sans doute s’y sont-ils vus tels qu’ils sont et n’ont-ils pas remarqué l’ironie derrière l’image !
Ce microcosme est une représentation qui peut paraître caricaturale mais reste très fidèle aux aspirations de la classe moyenne blanche dans son ensemble, avec son désir d’échapper complètement au monde réel, de se concentrer sur elle-même.
Leur patriotisme notamment est extrême là-bas même les bouquets de fleurs sur les tombes ont la forme du drapeau américain !
Si je suis critique, c’est à l’égard du système. Leur mode de vie est comme un paroxysme de » l’american way of life », quelque chose d’insupportable si on n’est pas né dedans…mais la photo est pour moi un moyen de comprendre ce qui m’est à priori inaccessible. »
(Peter Granser)
Peter Granser, 33 ans, originaire d’Autriche vit à Stuttgart. Son travail remarqué lors des Rencontres d’Arles (Prix Découverte 2002) lui a également valu le World Press et le Prix Oskar Barnack décerné par Leica.
Exposé à Photo Esparia 2003, à la Maison de la Photographie de Hanovre, à la galerie Kamel Mennour, Paris (qui le représente en France)… Il a été publié par Le Monde 2, De l’air…
Karine Laval:
En retrouvant de vieux souvenirs familiaux, albums et films de famille tournés par son père lors de vacances en bord de mer Karine Laval commence en 2002 à revisiter la mémoire de son enfance. Elle explore l’espace, l’eau, la chaleur et le mouvement dans un rapport ludique et sensuel.
Elle utilise l’ambiguïté de la photographie, entre réalité et fiction, pour reconstruire une narration qui la renvoie à ces moments privilégiés. Le choix de la palette de couleurs, tantôt saturées tantôt surexposées, le jeu des « développements croisés » — qui modifie le réalisme de l’image au développement — renforce cette ambiguïté entre construction du réel et imaginaire et rappelle la matière, la surface incertaine et la qualité particulière des films familiaux.
A travers son travail photographique, elle s’inspire souvent de la relation que nous entretenons avec l’environnement et le monde dans lequel nous vivons. Les piscines et les lieux balnéaires constituent un espace important de notre culture, et associent l’élément naturel de l’eau à un contexte urbain aménagé par et pour l’homme. Par-delà sa mémoire personnelle, c’est donc aussi une mémoire collective qu’elle essaie de mettre en évidence, à travers l’expérience partagée de situations aussi banales et universelles que celles du bain et du loisir.
Basée à New York depuis 1997, Karine Laval partage son temps entre les États-Unis et l’Europe, alternant reportages et projets personnels tel que les séries White, Havana Nostalgia et La piscine (Espagne, France, Portugal et Norvège), présentée lors de ces Estivales. Elle est représentée par la galerie Bonni Benrubi à New York et a été également exposée aux États-Unis par les galeries Yossi Milo (NYC) et Jackson Fine Art (Atlanta), ainsi qu’en Europe où son travail a été présenté lors de « Paris Photo » en 2003 et 2004.
Elle a également été sélectionnée pour le programme Descubrimientos de FotoEspana Madrid 2004 et par Photo District News (New York) parmi les « 30 artistes à découvrir en 2005 ». Elle a été publiée dans le livre Here Is New York (Scala, 2002), sorti après les attentats du 11 septembre 2001. Son travail, ainsi que ses reportages ont été publiés internationalement dans de nombreux magazines de la presse spécialisée et généraliste tel que Eyemazing, Exit, Elle, The New Yorker et le New York Times magazine auquel elle collabore régulièrement.
Laurence Faure – Valérie Villieu:
La stratégie du bonheur
« C’est un vol manifeste, un vol si doux, un vol de hasard,
Avec toutes sortes d’éclats
Comme l’écaillé de la vie, l’effritement de la carapace d’une tortue rare
Ce que je vois de loin et la proximité soudaine
Cette poudre de merveille, la grâce de l’arrêté,
L’insistance de ces images me tient.
Ne croyez pas que j’insiste sans raison… »
(Macha Makeïeff)
(extrait du livre La stratégie du bonheur, éditions Filigranes)
Tout comme Karine Laval, c’est par de vieux films super 8 qu’a débuté cette création de Laurence Faure et Valérie Villieu mais ici plus d’histoires de famille, plus de films du père ou du grand-père, les photographes ont en effet collecté aux Puces de nombreux films anonymes, échoués dans les bacs de Montreuil après un hypothétique décès ou une séparation, un déménagement… Une vie jetée à vau-l’eau, des moments de joie et de jeux qui lentement voués à l’inexorable fin de l’émulsion cinématographique se voient ici renaître.
Après avoir fragmenté ces films en images, les auteurs ont recomposé d’autres histoires, d’autres jeunesses, d’autres vacances qui prennent des allures de souvenirs collectifs pour le spectateur, qu’il les ait vécus, imaginés, entendus raconter ou désirés.
Laurence Faure (née dans les Hautes-Alpes) vit à Paris. Elle a exposé à la galerie « Le Bar Floréal », au « Mai-Photographies » de Quimper, à l’Espace Saint-Cyprien de Toulouse et prépare une série pour le Musée Réattu d’Arles.
Valérie Villieu, originaire de Bretagne vit à Paris. Son précédent travail Ovocyte, 37°9 a été comme le récent La stratégie du bonheur publié par Filigranes Éditions. Expositions à Art Paris, Majorque, Artothèque d’Hennebont…
Patrick Fournial:
«Mes vacances à Paris»
«Mes vacances à Paris», s’inscrit chez Patrick Fournial dans la continuité d’une série de travaux photographiques avec des « caméras-jouets » destinées aux enfants, aventure commencée en 1998 lors d’un voyage au Brésil.
Pour réaliser cette série de photos, il a volontairement utilisé un appareil photographique rudimentaire fabriqué à Macao dans les années 70, le jojaflex. Un « presque » moyen format, aux fausses allures de jouet, muni d’une lentille en matière plastique, à vitesse et focale uniques. Les incursions aléatoires de la lumière dans l’appareil produisent ces tâches rouges, ors et jaunes que l’on retrouve sur tous les clichés. Les échelles de valeur, également distordues, donnent parfois l’impression que les personnages sont comme posés sur une maquette. Plus que la reproduction parfaite, nette et sans appel du réel, captée par l’appareil du reporter, il s’intéresse à ce que peut évoquer ce type d’images dites « amateurs » car non parées de l’excellence technique.
Ces distorsions et ces aberrations optiques appliquées au réel accentuent la force de l’image qui se charge de poésie. La banalité d’une photographie de monument est ainsi transcendée par la féerie de ces éclairs accidentels, de ces balafres de couleurs. C’est dans cet état d’esprit que le photographe redécouvre sa ville, ce Paris si souvent mis en scène.
Le choix d’un tel appareil, même s’il implique, de fait, de nombreuses contraintes, rend au photographe cette liberté et cette candeur de l’enfant qui va à la pêche aux images dans une totale insouciance. Il l’autorise à se fondre dans la masse des touristes et à devenir, très vite, l’un d’entre eux, à partager, le temps d’une photo, cette euphorie et cette capacité d’émerveillement débridée, cet état d’esprit particulier dans lequel on plonge, on s’oublie lorsqu’on est en vacances. Comme un rêve de vacances parisiennes…
Depuis plus de 20 ans, Patrick Fournial, né en 1959, explore la photographie dans tous ses aspects, avec quelques détours par le cinéma et le documentaire. Il est membre de l’agence « Paysages ». Parallèlement aux illustrations/reportages de presse, il développe des recherches personnelles et s’essaie à différentes techniques. Il a abordé des sujets aussi éclectiques que l’architecture et l’exploration des paysages urbains, l’enfance, la peinture, l’onirisme, le portrait. Depuis l’ouverture d’un fonds à la Bibliothèque Nationale en 1995, il expose régulièrement en France et à l’étranger. Patrick Fournial est le lauréat 2005 du Prix Arcimboldo.
Götz Diergarten:
Au cours des différents séjours qu’il effectue dans le Cotentin, où ses parents se sont installés, Götz Diergarten découvre la richesse architecturale de la région, les beautés et particularités de sa côte.
« Gouville » petit village normand, peut être considéré comme l’utopie picturale d’un photographe, un lieu presque irréel où les propriétaires de chacune de ces cabanes de plage ont su créer de l’unicité dans un voisinage architecturalement uniforme.
L’auteur, par le choix d’une lumière diffuse et le particularisme d’un tirage couleur pastel, accentue l’uniformité et le caractère sériel de cet ensemble. Ici, Diergarten, qui ne renie pas l’influence des Becher, fait oeuvre de catalogage. Et c’est ce catalogage, cette répétition de sujets aux modifications ténues qui font toute la force d’un des jeunes auteurs européens les plus en vue, récemment récompensé par le Prix Hasselblad. S’il exclut volontairement toute présence humaine de ses cadrages, Diergarten — qui photographie systématiquement les lieux de vacances hors temps de vacances — ne nous en laisse pas moins deviner, derrière l’aspect immaculé de ces cabanons de plage, l’amour de leurs propriétaires pour ces quelques mètres carrés de liberté estivale.
Götz Diergarten est né en 1972 en Allemagne (Mannheim) et a étudié la photographie à l’Académie des Beaux-Arts de Düsseldorf avec Bernd Becher puis à l’École Supérieure de Design de Zurich. Ses oeuvres ont été exposées au Suermont-Ludwig-Museum d’Aix la Chapelle, au Wilheim-HackMuseum (Ludwigshafen), à la galerie Kicken (Berlin), au Pôle Image de Rouen, à Art Basel, Paris-Photo… Elles sont présentes dans diverses collections publiques.