Richard Dumas connait autant la musique, le cinéma et la littérature que l’image. Et il s’en nourrit, en dandy contemporain, fidèle à ses racines punk et à ses passions pour Avedon, à son désir de mise en forme sans a priori et avec la capacité de gérer sa liberté comme personne. Alors, au gré des commandes de presse, des opportunités, des rencontres, il tisse une façon unique de faire travailler la lumière sur des visages, parfois sur des espaces, qui disent à la fois sa fragilité – envie de connaître et de piéger – et sa certitude d’images qui lui permettent de se nommer; à côté, voire contre les autres.
En fait, avec une élégance rare, il assume des commandes pour lesquelles il impose son graphisme et ses contrastes, s’investit dans la possibilité d’une image qui ne sera pas toujours publiée. Il sait, comme nul autre, s’effacer face à ses sujets tout en restant toujours présent, et constitue au fil du temps un album de portraits rares, respectueux mais sans emphase, traitant avec la même sincérité et la même exigence un anonyme ou une star du septième art. La rigueur de sa sélection impose le point de vue cultivé de celui qui ne veut pas que ses images soient seulement un outil de communication.
Sa culture, comme de nombreux artistes de sa génération s’est nourrie de musique mais également de littérature et de cinéma. Cette culture quasi encyclopédique est faite de choix, de références qui dessineront la ligne de cette exposition. Et creusent en filigranes sa propre histoire… Parmi ces jeunes gens empreints d’une certaine idée des lendemains, se révèle Richard Dumas, brillant étudiant en robotique à l’Université de Rennes 1. Jeune homme aérien aux longs doigts effilés de guitariste, trouve à Rennes des comparses comme lui, érudits et esthètes, conscients de leur temps et de ce qu’on attend d’eux, pour taire ce que leur temps commande et passer au-delà des attentes.
Richard Dumas enregistre sur le 4 pistes de Marquis de Sade, la première maquette de Mythomane de Etienne Daho, Etienne au chant, Richard à la guitare. Il est dans ce courant musical nommé la scène rock rennaise, à part et novatrice dans le rock français qui s’illustre par des groupes comme Marquis de Sade, Marc Seberg, Les Nus, Ubiketc… Les Transmusicales de Rennes naîtront à ce moment-la, dans ce sillage.
Ce rappel historique, pour signifier les affinités électives que le photographe entretient, avec le monde du rock dont on trouve ici plusieurs portraits.
Dumas délaisse alors la musique, sport trop collectif pour le solitaire qu’il est et commence à photographier, notamment les nombreux musiciens qui affluent vers la capitale rennaise.
Il est étonnant de constater quelques décennies plus tard, comment le style est toujours là, reconnaissable entre tous, ou le visage est finement dessiné par la lumière qui affleure ne luttant aucunement avec les noirs profonds mais semble en émerger doucement comme une réponse à une certaine vanité face au temps qui passe. Dumas reste simple dans son appréhension du métier : lumière, temps, matière.
Ces notions se prolongent dans le travail effectué dans la chambre noire où il réalise les tirages directement à partir du négatif. Petits formats carrés dont il a finement déchiré les bords du papier ou grand format sur Agfa avec son tireur complice, Antoine Agoudjian (dont les travaux personnels sur l’Arménie ont été présentés à l’Imagerie il y a quelques saisons). L’attention qu’il porte au tirage est aussi exigeante que celle apportée au moment de la prise de vue.
À la question d’un journaliste qui lui demandait comment s’était passée la séance de pose avec telle célébrité, Richard Dumas répondit, placide : «Il n’y avait pas qu’elle, il y avait nous deux ».
Ce laconisme répond à une évidence et qui apparait clairement dans son oeuvre. Lui seul saura attendre l’instant afin de créer cette impression de découvrir chez le modèle ce sentiment qu’il est a ce moment là, quelque peu étranger à lui-même, captant sur le
visage un sentiment d’étrangeté, propre à l’existence.
Charlotte Gainsbourg dont le cou gracile, prêt à se briser contredit un profil volontaire et têtu, Keith Richards qui se noie dans un épais halo de fumée dont l’oeil s’extrait petit à petit pour nous faire voir un double qui serait la camarade, vieille complice de toujours dont il semble s’amuser en continuant à tirer sur sa cigarette, ou bien Patti Smith dont la détermination légendaire semble être rattrapée, contrebalancée par une douce réminiscence. Le portrait d’un visage porte en lui un mystère quand celui-ci révèle une forme de beauté.
Et c’est dans cette beauté recherchée et révélée que se dégage une certaine idée de l’existentiel.
Dumas prend le visage pour ce qu’il est. Il nous ramène à l’étymologie du mot qui trouve son origine dans visus qui définit l’action, la faculté de voir mais aussi par extension l’aspect que présente une chose et spécialement une personnalité.
Au-delà des représentations de personnalités, s’étalent devant nous un spectre beaucoup plus large et qui a plus à voir avec ce qui nous definit tous, au cours d’une vie.
Gilou Le Gruiec.