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11.10 - 29.11.2003

Portraits d’acteurs
1933-1984

Roger Corbeau

Carton de l’exposition de Roger Corbeau , Portraits d'acteurs 1933-1984, 2003

En 60 tirages (sélectionnés dans le fonds géré par « Patrimoine photographique » depuis la mort de l’auteur en 1995), cette exposition propose un parcours dans 50 ans de cinéma français. Arletty, Michèle Morgan, Isabelle Huppert, Jouvet, Gabin, Serrault…se sont prêtés aux mises en scène et aux lumières de celui, qui plus qu’un photographe de plateau, fut un révélateur de personnalité.

C’est pourquoi l’œuvre de Roger Corbeau n’est pas celle d’un photographe de plateau qui se serait satisfait de contribuer purement et simplement à la promotion du film. D’ailleurs, il n’intervenait pas pendant le tournage, mais seulement après, et son dispositif de travail lui était propre, au lieu de reprendre celui du décorateur et des éclairagistes. Son œuvre est celle d’un portraitiste qui s’est cherché, avec une extrême tension, chez les acteurs porteurs de masques, capables de se vider d’eux-mêmes et de s’offrir à un démiurge pour mieux entrer dans un monde imaginaire. Ce n’est pas par hasard si Corbeau, dès son plus jeune âge, a été fasciné par les acteurs capables de se dédoubler.

Aussi l’œuvre de Roger Corbeau n’est-elle pas disparate, mais homogène, du moins autant qu’un autoportrait peut l’être dans ses diverses facettes. Elle est forte de son unité plastique, sans rupture de style. Elle est personnelle, tant dans son traitement photographique original que dans la part de l’intime qu’elle mêle à la fiction. Elle est reconnaissable, comme l’est un homme dans ses propres traits, dans son être et dans ce qu’il façonne s’il est un créateur capable, à force d’art, de partager son ego. C’est une œuvre riche d’un demi-siècle d’histoire du film français, et surtout de la passion de celui qui, dans sa nuit lunaire, établit un lien unique entre cinéma et photographie.

Roger Corbeau est né le 20 novembre 1908 à Haguenau, dans le Bas-Rhin, l’un des départements français rattachés à l’Allemagne de 1871 (traité de Francfort) à 1919 (traité de Versailles). Ses années d’enfance et de formation sont marquées par sa double culture et les goûts qu’il se forge alors marqueront durablement sa création. Son père, industriel, est un bibliophile éclairé, ainsi qu’un grand amateur de musique classique, plus particulièrement d’opéra. Sur le plan des arts plastiques, le jeune Roger Corbeau est très impressionné par les films de Carl T. Dreyer, de Fritz Lang et de Georg W. Pabst, la peinture de Dürer et de Goya. Il lit L’Illustration et La Petite Illustration auxquelles son père est abonné, et y découvre avec fascination des visages d’acteurs ; la revue Querschnitt fait également partie de sa culture photographique.

Quand il atteint ses douze ans, son père lui offre son premier appareil, un folding Kodak 6 x 9, qu’il commence immédiatement à utiliser.

Il collectionne des photographies d’actrices qui constituent la part de rêve de son existence, écrit à quelques vedettes et s’abonne à des revues de cinéma. Son admiration pour les maîtres cités plus haut ne l’empêche pas d’apprécier aussi les « serials » américains et d’être séduit par le charme de Pearl White.

Il termine à Nancy des études secondaires commencées à Haguenau puis, après son service militaire, passe en 1931 une année à Amsterdam dans une maison d’importation de thés et cafés. A son retour, il décide de gagner Paris pour entrer en cinéma. S’étant renseigné sur les tournages en cours, il est engagé comme aide habilleur sur Violettes impériales, mis en scène par Henry Roussel. Le soin et l’amour qu’il apporte à son travail le font remarquer ; il devient accessoiriste. A ce titre, il sera employé sur le tournage de Les Bleus de l’Amour, film pour lequel Henri Alekan est assistant-opérateur, Bariole, où il rencontre Charles Trenet, et surtout L’Agonie des Aigles, dont le dialogue est écrit par Marcel Pagnol. Ce film marque le début d’une durable amitié, qui s’épanouira pendant le tournage de Le Gendre de M. Poirier, où Corbeau a l’occasion de faire de façon impromptue la preuve de ses talents naissants de photographe. Marcel Pagnol est conquis au point d’engager Corbeau comme photographe à l’année ; leur collaboration durera six ans et portera notamment sur Jofroi (1933), Angèle (1934), La Femme du Boulanger (1937).

Simultanément, il travaille avec d’autres grands noms du cinéma sur Pasteur de Sacha Guitry (1935), Le Roman d’un jeune homme pauvre d’Abel Gance (1935), La Citadelle du Silence de Marcel l’Herbier (1937). Mais ce sont surtout les acteurs qui le captivent : Pierre Fresnay, Louis Jouvet, Orane Demazis, Erich von Stroheim, Pierre Brasseur.

D’instinct, il s’oriente vers une photographie plus travaillée et plus proche de la photographie de portrait. Il cesse de photographier les scènes sur le vif pour les recomposer, quitte à modifier le décor ou l’attitude des personnages, afin de rendre sa photographie « plus plastique, beaucoup plus suggestive ». Il est résolument l’homme de l’image arrêtée, et n’acceptera jamais, malgré d’intéressantes propositions, de devenir chef-opérateur.La guerre interrompt ce prometteur début de carrière. Envoyé sur les bords du Rhin, il est démobilisé en 1940, puis obligé de se réfugier dans le sud de la France.

 

Dès fin 1944, il entre au Service cinématographique des Armées et commence à renouer d’anciens contacts. En 1945, il rencontre Jean Cocteau, pour qui il photographiera Les Parents terribles (1948) et Orphée (1949). Autres collaborations marquantes de cette deuxième période : Monsieur Vincent de Maurice Cloche (1947), Le Journal d’un curé de campagne de Robert Bresson (1950), deux films d’Orson Welles, M. Arkadin (1954) et Le Procès (1962), Les Sorcières de Salem de Raymond Rouleau (1956), peut-être sa plus saisissante réussite. A la fin de sa carrière, il travaille régulièrement avec Claude Chabrol, de La Décade prodigieuse (1971) au téléfilm Le Système du docteur Goudron et du professeur Plume (1980), en passant par Les Noces rouges (1972) et Violette Nozière (1977). Parmi les acteurs photographiés apparaissent de nouveaux visages : Jean Marais, Maria Casarès, Michèle Morgan, Jean Gabin, François Périer, Simone Signoret, Anthony Perkins, Alain Delon, Romy Schneider, Jeanne Moreau, Sophia Loren, Jodie Foster, etc. Au début des années 1980, il décide de cesser ses activités et ne donne plus suite aux offres pourtant nombreuses qui lui sont faites.

Photographe de cent soixante films dont bon nombre sont restés dans l’histoire du cinéma, Roger Corbeau a su, à force d’exigence et de rigueur, imposer son style. Ses portraits ne sont ni des études psychologiques, ni des sensibilisations érotiques, ni des idéalisations façon glamour mais plutôt des investigations personnelles exercées dans l’univers fantastique du cinéma, un univers qui est fait pour lui d’ombres et de ténèbres et dans lequel n’apparaissent que les figures mythiques qui ont grâce à ses yeux.

Son œuvre a été exposée en France (Arles, Paris, Strasbourg, Chalon-sur-Saône…) et à l’étranger (New York, Londres, Copenhague…) et son talent honoré de plusieurs distinctions (Arts et lettres, Légion d’honneur, Médaille de l’Académie nationale du cinéma…).

Roger Corbeau est décédé le 15 septembre 1995, au lendemain du dernier jour de l’exposition que lui consacrait Patrimoine photographique à Paris, à l’Hôtel de Sully.