imagerie

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27.04 - 03.06.2000

Le Dessin autrement

Ghada Amer
Olga Boldyreff
Christine Crozat
Fabrice Hybert
Vincent-Victor Jouffe
Jean Le Gac
Jean-Philippe Lemée
Elizabeth Lennard
Isabelle Lévénez
Eunji Peignard-Kim
Arnaud Pérennes
Ernest Pignon-Ernest
Georges Rousse
François Talairach

Carton de l’exposition Le dessin autrement, 2000

L’exposition « Le dessin autrement » co-organisée par l’Office Départemental de Développement Culturel et l’Imagerie,tente d’apporter un éclairage sur l’impressionnant regain d’intérêt et de vitalité que connaît le dessin depuis ces dix dernières années. Au sein du vaste courant d’éclatement des arts plastiques, il s’impose de façon proliférante, revendiquant avec force la place du geste graphique dans l’oeuvre métissée.

Traditionnellement lieu de la pensée, ouvert à tous les possibles, temps éphémère et mutable d’un projet en élaboration, le dessin n’est plus exclusivement une pratique isolée d’atelier, laissée en retrait. Il intervient aujourd’hui autrement. Inscrit dans une complémentarité transversale avec d’autres médias (peinture, photographie, vidéo, fil, …), parfois même situé au premier plan comme médium principal d’une installation, il participe pleinement à l’oeuvre d’art. Ces nouvelles modalités d’exploration renouvèlent donc les préoccupations classiques du dessin.

Quittant donc la confidentialité pour l’exposition-exhibition, le dessin s’affirme plus que jamais pour sa force et sa richesse. Il est doué d’une large capacité à produire du sens et d’une liberté que n’autorise pas toujours la technique avec laquelle il intervient maintenant dans un rapport corrélatif.

Placé ou non en relation transversale avec elle, il renouvèle, sans les rejeter, ses préoccupations plastiques classiques. Il impose toujours l’écriture du mouvement, revendique l’impérieuse nécessité du geste, le besoin de se réapproprier l’image « aseptisée » saisie mécaniquement. Il traduit donc la volonté de repositionner la présence du corps dans l’oeuvre dont la technique l’avait exclu.

Cette profusion du dessin est particulièrement signifiante. Elle se perçoit comme la manifestation quasi-existentielle d’une résistance de la pratique graphique Originelle et universelle, non pas contre mais en accord équitable avec la technologie la plus actuelle, façon de la maîtriser et non d’en subir la domination.

L’association du dessin à d’autres médias (texte, photographie) a été entre autres inaugurée par des artistes comme Jean Le Gac, Ernest Pignon-Ernest, Georges Rousse, mais aussi Annette Messager (non représentée dans cette exposition) et largement suivie par quantité d’artistes, parmi eux : Elizabeth Lennard, Christine Crozat.

Dans l’oeuvre de Jean Le Gac, le dessin pareillement associé au texte et à l’image photographique est lui aussi assorti d’une même fonction, celle de constituer l’une des pièces à convictions destinées à interroger le statut du peintre et sa pratique.

Placé en relation exclusive avec la photographie, il affirme parfois sa prédominance. Dans la série des villes d’Ernest Pignon-Ernest, le dessin préparatoire est la substance d’une démarche plastique à la finalité éphémère, toutefois fixée par une photographie-document. Cette trace, de moindres dimensions, est juxtaposée à l’esquisse dans la composition.

Les anamorphoses graphiques de Georges Rousse réalisées sur un support architectural sont rendues lisibles une fois saisies par le médium photographique qui les valide en oeuvres d’art.

Dans un rapport inverse, le trait, la colorisation intervenant par superposition, ajoutent en signification à la photographie-support d’Elizabeth Lennard : ses planches-contact agrandies questionnent ainsi d’autant mieux la distance entre la réalité et la trace du souvenir tout en explorant le principe sériel énoncé par Gertrude Stein.

Obstinément, Christine Crozat redouble le dessin par l’image photographique. Le dessin tracé à grande vitesse est alors un instantané (légèrement décalé) qui se mesure à la photographie, l’un et l’autre constituant des prises de notes fugaces, en vue du pari, à la limite de l’impossible, de réaliser le relevé cartographique des paysages du TGV qu’elle traverse.

 

Le métissage des arts plastiques réduit de manière impressionnante les distances entre eux, au point que le dessin investit aussi le champ de la vidéo, que se retrouvent unies une pratique ancestrale et une pratique très contemporaine.
La pellicule film Super 8 d’Arnaud Pérennes se l’approprie comme médium intrinsèque alternativement associé à une prise de vue saisie selon un mouvement graphique, lui-même redoublé par l’écriture rythmée d’une house-music.

L’image d’Isabelle Lévénez cohabite avec le dessin par juxtaposition directe dans l’espace de projection : le motif arrêté, texte ou objet, se conjugue à l’image en mouvement, pour accentuer la proximité de la relation duelle établie entre le personnage et le regardant, jusqu’à être parfois invitante.
Le dessin questionne autrement ses préoccupations classiques, le trait par exemple, surtout en association (plus traditionnelle) avec le médium peinture.

Le trait incisif de François Talairach, en tension avec la peinture et la toile architecturée, consigne un plan du corps dont il interroge la représentation.

Le graphisme de Jean-Philippe Lemée s’inscrit dans une esthétique relationnelle. La pratique individuelle du dessin est pour lui participative. Ses dessins peints résultent de l’appropriation de dessins, réalisés par des anonymes à partir de toiles célèbres. Il les met ensuite en scène sur un tableau qui détourne l’oeuvre d’art en dessin d’album à colorier, l’un et l’autre d’appartenance universelle. Pour Jean-Philippe Lemée , le dessin et l’oeuvre d’art appartiennent à tout le monde.

Le dessin de fil interroge à proprement parler la ligne, son expression la plus minimale.
Brodée à même la toile ou le papier de Ghada Amer, la ligne est revendication féministe.
Tracée en dessins muraux par la cordelette d’Olga Boldyreff, elle prolonge dans l’art contemporain la pratique populaire du tricotin. Utilisé comme un petit outil multimédia, il condense un art graphique et un art d’attitude pour explorer le champ de la communication : la cordelette est réalisée collectivement dans le cadre de performance assortie de conversations. Olga Boldyreff s’inscrit aussi dans une esthétique relationnelle.
Cet engouement graphique réactualise le dessin d’observation qui anime la vogue actuelle des sciences naturelles, propices à des interrogations d’ordre plastique.

A une époque de profusion d’images, la fidélité au modèle réaliste standard, des planches de leçons de choses d’Eunji Peignard-Kim, pose la question du multiple, ses déperditions et ses dérives, étendue de manière conjoncturelle au monde animal.
Les végétaux du laboratoire à dessins de Vincent-Victor Jouffe sont prétextes à une exploration clinique, analytique et sérielle, à travers une diversité de reproductibles graphiques (dessins, calques, photocopies, plans à l’ammonique, tirages à lithigraphiques, polaroids) qui diluent l’objet du volume au trait, en traces, empreintes, tacts et contacts, pour faire l’éloge d’une pensée du glissement. L’ensemble est présenté sous forme d’installation.

Un phénomène non moins marquant, sinon plus, de cette vogue du dessin, est son aptitude à devenir le médium primordial d’installations éclectiques.
Fabrice Hybert l’illustre parfaitement. Esquisses, croquis, schémas spontanés et mouvants de la pensée, juxtaposés en profusion, font dès lors oeuvre d’art : le transitoire est devenu définitif mais instable tout à la fois, disponible à d’éventuelles mutations in-situ.