Cela fait 20 ans cette année qu’Alain Fleig, artiste plasticien, a choisi de s’exprimer essentiellement par des moyens photographiques. Certes, il ne s’agit pas pour lui de s’adonner à la photographie traditionnelle, on s’en rendra compte dans l’exposition que lui consacre L’Imagerie à cette occasion.
Pour Alain Fleig, la photographie est, à la fois un moyen comme un autre, au même titre que la peinture, la sculpture, le dessin ou la video et, en même temps, la photographie est un media ( et non seulement un médium), quelque chose de spécifique et de protéiforme, de populaire et d’élitiste, un lieu de création à nul autre pareil pour peu qu’on le bouscule, le mixe et l’interroge.
Il a été, en France, l’un des tout premiers à pratiquer ce qu’on a appelé depuis du très vilain terme de « photographie plasticienne », non pas pour inventer quelque chose de nouveau mais naturellement, parce qu’en tant que moyen de création ou de représentation, la photographie pose problème. C’est pour les mêmes raisons qu’on le retrouve à l’Université de Paris VIII et avec quelques autres à l’origine des « Cahiers de la photographie », à tenter de poser les bases d’une réflexion théorique sur le medium. C’est aussi pour garder sa liberté de création qu’il quittera ces deux « institutions », cultivant jalousement son indépendance hors de tout mouvement ou école. C’est cette attitude qui le fait définir par Patrick Roegiers comme « volontairement marginal ». Fleig répond qu’il ne sagit pas tant de volonté que d’obligation car l’artiste est seul dans sa recherche et il doit garder à tout prix recul et intégrité.
C’est donc une plongée dans ces 20 ans de travail que nous effectuons à L’Imagerie, non pas une vraie rétrospective qui nécessite des moyens considérables et surtout une surface d’exposition dont nous ne pouvons disposer, mais des choix ( parfois difficiles) dans différentes périodes de l’artiste: en tout une cinquantaine d’oeuvres parmi lesquelles des séries, des pièces de très grand format et des maquettes (pour ce qui concerne les derniers travaux).
Il s’agit avant tout de rendre compte d’un parti-pris et d’une évolution, de dégager la constante d’une recherche axée sur les problématiques du corps et du matériau: Qu’est-ce qu’un corps quand il est photographié ? Que peut dire la photographie sur la représentation ? Quel est son rapport à l’art ?
Ce sont ces questions, pour beaucoup résumer, qui hantent le travail d’Alain Fleig depuis plus de vingt ans. Questions posées à la photo et aussi que pose la photo.
Des séries définies de travaux, des préoccupations diverses apparaissent dans cet énorme corpus même si tout cela se recoupe et se chevauche sans continuité ferme ni vrai rupture.
Au début, il s’agit surtout d’un travail sur l’image ou même l’imagerie du « corps libéré ». Alain Fleig fait peu de photographies par lui-même ou du moins ne les utilise pas, à l’exception du travail sur Berlin ( non présenté ici). Il préfère prélever, détourner les images des magazines, de la presse ou de la BD. En cela il est encore très proche du Pop-Art ou des pratiques Situationnistes. Puis apparaissent les mises en couleur, les graffitis comme s’il y avait un règlement de compte, une vengeance à exercer sur l’image et celui qui s’y adonne, une mise en cause matérialisée qui ne cessera d’évoluer jusqu’aux pratiques actuelles.
Apparaissent ensuite, pendant 3 ou 4 ans Les Démultiplications , première tentative de récupérer la photo pour le compte de l’art au sens traditionnel, de forcer le sens, de le dégager de l’intérieur même de l’image au lieu de le lui ajouter. Ce travail évoluera vers « Les Accumulations » d’images où c’est la multiplicité, le trop plein ( où chaque cliché se tue l’un l’autre) qui finit par faire sens , qui interroge sur cette mise à l’image généralisée. De cette période, très productive, pour des raisons de cohérence, nous présentons le travail effectué sur le corps en laissant volontairement l’important corpus consacré au portrait et surtout au paysage qui débouchera à partir de 1983 sur ce qui allait devenir Les Exotiques, travail de recherche profonde et difficile sur le différent qui, à la Grand Halle de la Villette, fin 88, fit connaitre Alain Fleig à un plus vaste public.
Depuis, c’est une pratique encore plus intériorisée qui l’anime puisqu’il s’est plongé dans un vaste cycle intitulé Leçons de ténèbres pour lequel il recherche encore des producteurs et en marge duquel sont nées des séries comme La Tentation de St Antoine dont nous montrons ici pour la première fois quelques éléments.
A l’origine de nombreuses pratiques ou techniques contemporaines, au coeur de la réflexion sur la photographie mais aussi sur l’art contemporain, on pourra mesurer à L’Imagerie toute l’importance et l’influence de cet artiste qui se tient volontairement à l’écart du bruit et de l’agitation médiatique.