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01.02 - 05.04.2025

La Course du soleil
(hors les murs)

Juliette Alhmah
Jérôme Cognet
Laurent Millet
Sébastien Reuzé
Maureen Robin
Charles Villa

Sébastien Reuzé, _DSC_6176, série « Soleil », impression analogique, 165 × 127 cm, 2024

Cette exposition, qui se tient à La Chapelle des Ursulines en partenariat avec la ville de Lannion, est organisée dans le cadre du programme hors les murs de L’Imagerie, initié le temps des travaux nécessaires à son installation dans un nouveau bâtiment, situé dans l’ancien Hôtel de Tonquédec, dans le centre-ville de Lannion.

Le soleil est un motif particulièrement populaire en photographie, qui traverse les époques et résiste au passage du temps. Combien d’albums, de boîtes de diapositives, et maintenant de mémoires de téléphone portable contiennent des photographies de lever ou de coucher du soleil ? Le phénomène n’est pas nouveau. Depuis des siècles, le soleil fascine les amateurs, les peintres, les scientifiques, puis les photographes, attirés par la beauté envoûtante de ce disque lumineux qui brille dans le ciel et le teinte de nuances allant du jaune au rouge-orangé. Mais au-delà de la fascination qu’a pu exercer – et qu’exerce encore – l’astre solaire, celui-ci est également, dans le cas de la photographie, la condition même d’apparition des images.

En effet, la lumière est l’élément essentiel pour produire des photographies, qu’il s’agisse dans un premier temps de la lumière du soleil ou bien par la suite de lumière artificielle (flash, lampes, etc.). Dans tous les cas, c’est bien la lumière qui impressionne la pellicule (ou le capteur numérique de l’appareil) et qui fait apparaître les images, même si, à trop être exposées au soleil, celles-ci finissent par se décolorer et s’estomper. À travers les photographies et les vidéos réunies dans cette exposition, il s’agit ainsi de mettre en parallèle un double mouvement : le cycle que suit chaque jour le soleil, se levant à l’est pour se coucher à l’ouest, parallèlement à celui des images, qui apparaissent puis palissent progressivement jusqu’à disparaître.

Les œuvres de Laurent Millet sont souvent le fruit de dispositifs associant plusieurs étapes : d’abord le dessin, la sculpture ou l’installation, puis le passage à la photographie pour produire une image. Au sein de ce processus, le rapport aux sciences occupe une place importante, à la fois en tant que sujet des œuvres (la géométrie d’Euclide, les dessins de polyèdres de l’orfèvre allemand Wenzel Jamnitzer, etc.), mais aussi comme moteur de création. En effet, la figure du scientifique – qui formule des hypothèses, expérimente, multiplie les recherches – lui sert de modèle pour penser l’élaboration de ses propres formes.

Son œuvre Cyanomètre s’inspire d’un instrument inventé par le physicien et naturaliste genevois Horace-Benedict de Saussure à partir de 1787, mis au point afin de mesurer le bleu du ciel. Grâce à ce nuancier représentant différentes teintes de bleu, il observait les variations de densité du ciel en fonction de l’altitude : en haut du Mont-Blanc, à Chamonix ou à Genève. Laurent Millet reprend ce principe en remplaçant l’encre bleue utilisée par le physicien par le bleu du cyanotype, dont les conditions d’apparition sont liées à la lumière. Il associe à ces monochromes bleus des images noir et blanc montrant le main qui trace des ellipses, faisant un lien entre le soleil, la représentation de ses mouvements et l’observation du ciel.

Laurent Millet, Cyanomètre, cyanotypes et tirages numériques, 76 × 40 cm (chaque), 2017
Laurent Millet, Cyanomètre, cyanotypes et tirages numériques, 76 × 40 cm (chaque), 2017

Depuis plusieurs années, Sébastien Reuzé mène une recherche sur les usages de la photographie, sur les possibilités offertes par les techniques de développement, ainsi que sur la couleur. Ce travail lui permet d’explorer les potentiels du tirage argentique, qu’il cherche à rendre unique grâce à une succession de manipulations en chambre noire, à rebours de l’idée d’un négatif reproductible à l’identique et à l’infini. À partir de 2016, il initie une série sur les représentations du coucher de soleil, qu’il photographie et isole de son environnement, au point de plonger l’astre lumineux dans une ambiance vaporeuse et difficile à localiser, quasiment imaginaire. Il s’intéresse alors à la répétition de ce motif, dont il multiplie les prises de vue et qu’il tente d’épuiser à force de le reproduire.

Alors qu’il séjourne à Los Angeles, il décide de se concentrer uniquement sur le soleil, laissant de côté immeubles, voitures et palmiers. Celui-ci devient le seul élément clairement reconnaissable des images, tout en étant central dans la composition : un disque blanc au milieu d’un ciel invariablement jaune. Dans ses vues frontales de grand format, Sébastien Reuzé crée un face-à-face qui renvoie, à travers leurs couleurs chaudes et séduisantes, à l’éblouissement que provoque Los Angeles dans l’imaginaire, ville imprégnée du culte du soleil. Il pointe dans le même temps la fascination qu’exerce le soleil dans la culture populaire, ainsi que sa récupération par les codes de la communication qui en font un symbole d’exotisme et d’extase.

Sébastien Reuzé, _DSC_5509, série « Soleil », impression analogique, 61 × 51 cm, 2024
Sébastien Reuzé, _DSC_5509, série « Soleil », impression analogique, 61 × 51 cm, 2024
Jérôme Cognet, Le Soleil tout entier ne se trouve nulle part, film couleur, 12 min. 11, 2020

Artiste et réalisateur expérimental, Jérôme Cognet explore depuis plusieurs années dans ses films la question du montage, à travers le réemploi de matériaux cinématographiques préexistants. Décontextualisant et assemblant des scènes tirées de différents films réalisés par d’autres, il insiste sur la répétition de motifs qui reviennent inlassablement à l’écran. Il effectue alors un geste double : celui de récupérer des images puis de les transformer en les combinant, leur donnant par la même occasion un sens nouveau.

Son film Le Soleil tout entier ne se trouve nulle part fait référence à une nouvelle d’Isaac Asimov, publiée en 1941, « Quand les ténèbres viendront ». Dans ce texte, l’écrivain américain de science-fiction imagine une planète entourée de six soleils, de telle manière qu’il n’y fait jamais nuit car l’un de ces soleils est toujours présent quelque part dans le ciel. Lors d’une éclipse qui n’a lieu que tous les 2000 ans et qui entraîne la disparition temporaire de l’unique soleil visible à ce moment-là, la population apeurée en raison de la nuit noire décide de brûler toutes les villes pour faire de la lumière. Le montage du film de Jérôme Cognet reproduit la baisse de luminosité inquiétante décrite dans la nouvelle d’Isaac Asimov. Organisés selon les variations colorimétriques du ciel, les extraits qu’il a choisis sont des plans de films desquels il a retiré toute présence humaine en post-production. Seul reste le soleil étincelant, omniprésent à l’écran.

Jérôme Cognet, Le Soleil tout entier ne se trouve nulle part, film couleur, 12 min. 11, 2020
Maureen Robin, Reflets, Sainte-Croix, vidéo, 1 min., 2022

Dans sa pratique artistique, Maureen Robin s’intéresse à l’artificialité des images, à leur caractère illusoire et fabriqué. Travaillant le médium photographique et la vidéo, elle a réalisé plusieurs œuvres à partir de reflets dans le paysage : un rayon de soleil bien placé, un reflet sur la mer ou sur une rivière… Avec des techniques empruntées au studio photographique (les éclairages, les flashs, les filtres, le maquillage, etc.), elle joue avec le caractère potentiellement fictif du paysage, le modifiant sur l’image sans le détériorer dans la réalité. Elle peut ainsi saupoudrer des paillettes sur des rochers, juste pour augmenter l’effet scintillant déjà produit par le mica dans le granit.

Naviguant entre naturel et artifice, entre imaginaire et réel, Maureen Robin investit le paysage pour lui donner une nouvelle apparence. Réalisées au bord de la Méditerranée à Cassis, sur le lac de Sainte-Croix dans le Verdon ou sur les rives du Mississippi, ses courtes vidéos montées en boucle représentent différents lieux, choisis spontanément car à un moment le soleil miroitait à la surface de l’eau. Elle a eu recours à un filtre anamorphique qui crée volontairement un effet de lens flare, ces aberrations optiques qui apparaissent sur les images quand une source lumineuse se reflète dans l’objectif. Avec ces scintillement en forme d’étoiles à l’écran, elle donne une nouvelle visibilité, presque magique, aux rayons du soleil.

Juliette Alhmah, Sans titre, série « Salted Love », tirage sur papier salé, 50 × 40 cm, 2019

Dans une approche qui relève autant du geste plastique que du documentaire, Juliette Alhmah cherche à croiser récits intimes, grande Histoire et fictions, afin de créer des narrations inscrites dans l’espace parfois flou entre rêves et souvenirs. S’inspirant du projet « Znamia » développé dans les années 1990 dans le but de canaliser la lumière du soleil grâce à de grands réflecteurs en orbite autour de la Terre pour éclairer les villes de l’Arctique russe, sa série « Toujours Diane » imagine un monde dans lequel le soleil ne se couche jamais. Mêlant images tirées des archives spatiales de la bibliothèque de l’Observatoire de Paris, des photographies d’œil souffrant de la lumière ou du manque de sommeil, mais aussi des images prises grâce à une pellicule dépourvue de couche anti-halo, cette série décrit de manière allégorique un monde où le sommeil n’est plus possible.

Présentée ici, sa série « Salted Love » constitue aussi une recherche sur la lumière et le soleil comme ressort narratif. Il s’agit dans cette dernière de donner forme aux questions d’aveuglement, d’éphémère, de la perte de l’image et du souvenir, en réalisant des portraits tirés sur papier salé, stabilisés mais non fixés. Encore sensibles à lumière, les portraits s’effacent au fur et à mesure de l’exposition. Donnant à voir des images mouvantes, jamais définitives, qui disparaissent au fil des jours, la série « Salted Love » rassemble des portraits de personnes insaisissables, invariablement de dos, illustrant l’intérêt de Juliette Alhmah pour la représentation de l’amour, de la rupture amoureuse, du deuil et de la perte.

Juliette Alhmah, Sans titre, série « Salted Love », tirage sur papier salé, 50 × 40 cm, 2019

Depuis 2020, Charles Villa a entamé une recherche intitulée « Image bleue », explorant le phénomène de décoloration des images imprimées par le soleil. Ce projet prend plusieurs formes, à commencer par la collecte de centaines d’images prises dans la rue ou dans des vitrines de magasins, décolorées par l’exposition à la lumière solaire jusqu’au bleuissement. Celles-ci sont ensuite inventoriées et classées dans différentes catégories : affiches publicitaires, affiches de salon de coiffure, affiches électorales, reproductions de peinture, menus de restaurant, signalétique, etc. Elles montrent à la fois l’action du soleil comme agent de disparition des images, mais aussi comme révélateur de nouvelles images, uniformément bleues.

Pour un autre volet du projet, il a travaillé avec un laboratoire situé dans la banlieue de Phoenix, en Arizona. Installé dans le désert le plus chaud et au taux d’ensoleillement le plus élevé au monde, ce laboratoire teste la résistance à la lumière de différents matériaux et objets produits par l’industrie. Charles Villa y a placé dans des vitrines des cartes postales anciennes représentant des bouquets de fleurs, qui se sont lentement décolorées, à l’exception de bandes latérales là où les cartes postales étaient maintenues à plat. Après neuf mois d’exposition au soleil, toutes les couleurs ont disparu. La matière bleue de l’image apparaît alors, au moment où les images finissent par s’effacer à force d’être éclairées par le soleil.

Charles Villa, Blue Flowers #2, tirage numérique couleur, 118,9 × 84,1 cm, 2023
Charles Villa, Blue Flowers #2, tirage numérique couleur, 118,9 × 84,1 cm, 2023
Agenda

31.01 – 17h
Vernissage de l’exposition

01.02 – 14h
Visite commentée avec les artistes

20.02 – 17h
Visite flash de l’exposition

20.03 – 17h
Visite flash de l’exposition