L’exposition Blow Firozabad Bangles est une vaste installation de 404 empreintes en verre, 37 photographies et un film de 64 mn qui se déploie dans l’espace des salles de la galerie et l’envahit. Dialogue de sculptures et d’images, elle résulte d’une aventure artistique de deux ans au Nord de l’Inde à Firozabad, la ville des bracelets en verre, les « bangles », que François Daireaux, artiste voyageur, a découverte lors de l’une de ses pérégrinations.
Cet ambitieux projet croise deux territoires verriers, deux productions, deux savoir-faire, celui des ouvriers indiens de Firozabad et celui des artisans d’art français du Centre International d’Art Verrier (CIAV) de Meisenthal en Moselle. Avec l’inspiration de l’alchimiste, François Daireaux a imaginé et développé, grâce aux compétences expérimentales du CIAV, une audacieuse entreprise de métamorphose des « bangles » dont sont issues les empreintes en verre.
Le projet Blow Firozabad Bangle exalte la fascination de François Daireaux, initialement sculpteur, pour la matière, ses processus de transformation et l’expérimentation d’un geste. Il établit un parallèle entre le travail artisanal et la création artistique animés par une même quête, l’un et l’autre engagement corps et âme. L’artiste témoigne aussi de son vif intérêt pour le monde du travail, la place de l’individu dans les productions artisanales et pour les rouages de la mondialisation : achetant et exportant ses « bangles », il a expérimenté les circuits habituels du commerce international. François Daireaux aborde donc le réel mais il l’aborde autrement avec un regard qui n’est que le sien, cherchant à aller au-delà dans les territoires de l’entre-deux.
Blow Firozabad Bangles condensent l’ensemble de ses préoccupations : la mutation de la matière, l’objet qui fait sculpture, le geste, le rapport au réel et à la mémoire, le jeu entre le plein et le vide, la déclinaison de la forme à l’infini, le défi d’une mise en espace axée sur l’envahissement.
Cet ensemble présenté pour la première fois fait l’objet d’une coproduction nationale conséquente associant le CIAV, le Centre d’Art La Maréchalerie à Versailles, La galerie Les Filles du Calvaire à Paris, Itinéraires Bis, l’Imagerie.
L’exposition est également programmée en lien avec la manifestation départementale Fenêtre sur l’Inde.
Passing through présentée en parallèle à la chapelle des Ursulines apporte un éclairage complémentaire sur la création de l’artiste, focalisée ici sur l’Inde.
Blow Bangles, 2012, 404 empreintes, verre soufflé
Les empreintes en verre sont le résultat d’une alchimie franco-indienne. Basée sur le principe du jeu entre le plein et le vide qu’affectionne l’artiste, elle a consisté à fondre et souffler des « bangles » dans les moules historiques du site verrier de Meisenthal, c’est-à-dire souffler une production dans une autre, défaire ce qui a été consciencieusement produit en amont. L’activité verrière de Firozabad étant née au XIVe siècle du recyclage des verres brisés importés par les envahisseurs occidentaux, la boucle est bouclée. Ces œuvres sont à la fois la fusion d’un territoire dans un autre et la fusion de deux mémoires.
Les 404 empreintes correspondent à autant de bracelets de couleurs différentes collectés sur place par l’artiste et inventoriés en un nuancier de 404 fragments de « bangles » présenté à droite en entrant. Chacune est le résultat de la métamorphose d’une « tora » (paquet d’environ 250 bracelets) dont le poids varie en fonction de l’épaisseur et du diamètre des bracelets et engendre des empreintes plus ou moins volumineuses. Les formes, des contenants creux, sont multiples en fonction des moules et des compositions possibles.
La disposition dans l’espace de la galerie, plus ou moins concentrée, est aléatoire. Comme souvent chez François Daireaux, cette installation joue sur la multitude et l’envahissement. Expérience de création qui a sollicité la maîtrise du geste en amont, elle invite maintenant le visiteur à une expérience personnelle, celle du geste vigilant et de l’attention aux choses. Blow Bangles est une œuvre à vivre pour mieux regarder les êtres et les choses près de soi et autour de soi.
Million bangles, Firozabad, 2012, 37 tirages lambda, 78 x 93 cm
L’aventure artistique « firozabie » de François Daireaux a commencé par la photographie. Une sélection de 37 images présentée dans cette exposition croise des portraits saisissants et des scènes d’ouvriers au travail, quasi picturales, avec des rues bizarrement désertes hantées du seul regard de l’artiste, des terrains vagues, des murs couverts de slogans publicitaires de médicaments qui favorisent la puissance sexuelle et la fertilité limitées par le labeur verrier.
Ces images alternent intérieurs et extérieurs des fabriques, dans un mouvement rythmé et contrasté entre le plein et le vide. Comme les verres soufflés, elles sont des empreintes, celles des visages à qui l’artiste fasciné rend hommage ; empreintes d’une activité que la fixité de l’image semble suspendre dans un moment de déprise. Or l’activité jamais ne s’arrête. C’est dans ces entre-deux, à la dimension parfois onirique, que se loge la Firozabad de François Daireaux.
Firozabad, 2012, vidéo, 64 mn (présenté jusqu’au 21 avril)
A la croisée de l’art vidéo et du documentaire, ce film est le pendant animé de l’ensemble photographique. Les images sous-tendues par un son omniprésent, le souffle de la fournaise, le cliquetis des verres, le leitmotiv du klaxon du train de marchandises, ceux des camions, restituent l’activité incessante de la ville de Firozabad. Les trois quarts des habitants (600 000) y travaillent durement et sans relâche dans environ 400 verreries. Des milliards de « bangles » sont produits quotidiennement et diffusés dans toute l’Inde.
Entraîné par les images, on pénètre au coeur des fabriques. La caméra filme les corps, plus que les êtres, et leurs gestes quasi-chorégraphiques au fil des étapes de la fabrication des « bangles » : elle saisit un rituel où le corps et l’objet né du souffle, ne font qu’un,
Personnages clés de l’exposition, les « bangles » et les « toras » sont pourtant entourés d’un halo de mystère. Entre absence physique et présence dans les empreintes, ou sous la seule forme de fragments de nuancier dans l’installation, le film opère tout à coup une révélation. L’image et le son dévoilent les bracelets de verre pailletés et bruissants dans toute leur intégralité, extrêmement vivants et vibrants au fil des manipulations.
A l’extérieur des usines, d’autres gestes s’ajoutent à ceux des verriers, d’autres objets complètent les bracelets, les uns et les autres échos aux oeuvres vidéos et photographiques antérieures de François Daireaux condensées dans ce film. Un film qui tente aussi de circonscrire la ville de Firozabad dont l’activité industrielle bien que très artisanale fait se côtoyer mondialisation, néolibéralisme et vie traditionnelle.
Ce film de longue durée, réalisé sur deux ans, livre aussi la Firozabad de François Daireaux : il est à voir comme le défilement de sa mémoire de son aventure « firozabie ».