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30.06 - 04.10.2014

L’Amérique au cœur :
36e Estivales photographiques
du Trégor

Jean Bizien
Jérôme Brézillon
Jean-Christophe Béchet
Daniel Nouraud
Richard Pak

1ère de couverture du livret des 36° Estivales Photographiques du Trégor, L'Amérique au coeur, 2014

L’Amérique au coeur ou le regard de cinq photographes français sur les États-Unis.

Il y a 60 ans, un jeune photographe, un jeune breton installé à New York depuis peu, assistant d’ Irving Penn, profite de ses rares moments de liberté pour parcourir, appareil photo au cou, New York et ses « villages », de Central Park à Little Italy. Tout l’intéresse dans cette immensité urbaine, moments de repos, de tendresse, de solitude aussi, tous et chacun qui n’attendent que « celui qui saura les regarder ». Et Jean Bizien a su les regarder d’un objectif amical et nous offrir sa vision humaniste et sensible de la mégalopole américaine.

Un demi siècle plus tard, dans les mêmes lieux, dans les mêmes rues, le Leica acéré de Daniel Nouraud découpe au scalpel, dans le soleil rasant, des silhouettes pressées. Ici plus d’échange, plus de convivialité, on ne regarde plus son voisin, on n’en a rien à faire ou on n’en a pas le temps!

C’est ce temps qui passe, ce temps qui est passé qui semble pousser à la méditation les « Souverains » de Jérôme Brézillon. Indiens dignes et seuls, face à leur Terre, face à leur territoire, face à leur Histoire et face à la fin d’une histoire, ils savent s’être fait voler la grandeur d’autrefois.

Histoire toujours mais histoire de tous les jours, histoire d’une Amérique « du dedans » , telle est celle que nous décrit Richard Pak dans ces rencontres au hasard des villes et des rues, au hasard des motels et des bars. Il a patiemment pris la route vers une Amérique prolétaire partageant jusqu’à l’intime le quotidien incertain, dramatique parfois, de cette middle (lover ?) class qui l’a accepté au plus près d’elle-même, au plus près de ses problèmes et de sa solitude. Un départ perpétuel dans la déchirure et la supplique du Please, come again.
Observateur clinique et précis, l’oeil de Jean-Christophe Béchet se fait plus lointain. Ses modèles traversent les paysages urbains déglingués d’une « ville argentique » en perdition à la recherche du fantôme de son passé, ou, petites silhouettes solitaires, transpirent l’ennui d’un hameau perdu au fond de nulle part.

Jérôme Brézillon:

« Souverains »

Avant l’arrivée des Européens, les deux Amériques comptaient une population de 75 millions d’habitants. À la fin du XIXe siècle, en Amérique du Nord, la population indienne était tombée à 250 000 âmes, victime des guerres, des maladies, de l’esclavage, de la brutalité des Blancs et surtout du déséquilibre du système économique et écologique. Dans les réserves américaines aujourd’hui, le système éducatif et sanitaire est précaire, l’alcool et la malnutrition font des ravages, l’espérance de vie y est de 47 ans. La question de la souveraineté des Amérindiens est un mal moins visible mais tout aussi profond. Le traité signé en 1868 à Fort Laramie a fixé les frontières des territoires Sioux Lakotas et stipule qu’ils restent libres d’utiliser leurs terres comme bon leur semble. La vérité est tout autre. Depuis Blueberry et Little Big Mon, je suis attiré par les « Indiens » et la vision romantique qu’on nous en propose. Lors de mes précédents travaux aux États-Unis, j’ai régulièrement fait des détours pour prendre des contacts dans différentes réserves, en Arizona, Oklahoma, Mississippi, Sud Dakota. La réserve de Pine Ridge se situe dans le Sud Dakota, les Sioux Lakotas y vivent, descendants de Crazy Horse et Sitting Bull, vainqueurs du général Custer à Little Big Horn. Le comté de Shanon est un des plus pauvres des États-Unis. Il n’y a pas de motel à Pine Ridge, on ne s’y arrête pas, le climat est rude, les regards le sont parfois aussi. C’est ici que j’ai choisi de faire ces photographies. Des portraits et des paysages. Des portraits simples, debout, le sujet fait corps avec le territoire, dénué de nostalgie. Je me suis volontairement désintéressé des signes distinctifs (voiture, maison…) afin de me concentrer sur le sujet. Le ciel et le sol se partagent équitablement le cadre. Les paysages, vides et ordinaires, représentent le quotidien et sont la propriété des Sioux Lakotas. Cette écriture photographique m’est apparue évidente pour exprimer leur désir de souveraineté.

(Jérôme Brézillon)

Jérôme Brézillon (1964-2012) commence sa carrière en tant que photographe publicitaire, puis devient photoreporter. De 1992 à 1998, il couvre plusieurs conflits armés notamment à Sarajevo, Chypre ou encore en Irlande du Nord. En 1996, il est lauréat du prix World Press Photo. En 2000, il collabore avec la réalisatrice islandaise Solveig Anspach pour le documentaire intitulé Made in USA, sur la peine de mort aux États-Unis dans le pénitencier d’Oklahoma. Ensuite, il réalise plusieurs reportages toujours aux États-Unis, notamment sur Bruce Springsteen et sur la tribu autochtone des Lakotas dans la réserve de Pine Ridge, sujet qui tait l’objet de cette exposition. En 2007, Jérôme Brézillon couvre, pour le journal Libération, la 6oe édition du festival de Cannes où il réalise de nombreux portraits de personnalités. En 2010, il est photographe de plateau pour le film Gainsbourg, vie héroïque, réalisé par Joann Star. Durant sa carrière, il a travaillé pour de nombreux magazines ou journaux français tels que Libération, Les inrockuptibles, L’Express, Télérama ou encore GEO.
Il fut également le cofondateur du site revue.com.

Un livre posthume, On board, vient de paraître en mars 2014 aux éditions Textuel, dernier témoignage livré par le photographe sur sa fascination des grands espaces américains. Exposition présentée avec le concours de Label Expositions et de la galerie Sit Dovvn (Paris).

Jean-Christophe Béchet, Orlando, Floride, série « American Puzzle »

Jean-Christophe Béchet:

« American puzzle »

1996, je me rends pour la première fois aux États-Unis. Quinze ans plus tard, en 2011, j’y suis allé dix-sept fois. Dix-sept voyages américains, parfois courts, toujours intenses, déconcertants, jubilatoires. Au fil des ans, mes référents culturels et politiques ont évolué. D’autres images sont venues se superposer à celles qui remplissaient mon imaginaire. Mais tout s’est passé comme je le pressentais,
à chaque voyage j’ai visité un territoire géographique et un espace mental.
Au début, bien sûr, j’ai voulu éviter le folklore, le cliché, le déjà dit, le déjà vu. Bref, j’ai fini par tout éviter ! Que restait-il à photographier aux USA ? Rien ? Ce n’était pas possible… Sur le terrain, deux voies s’offraient à moi : chercher le concept, la petite série d’objets, de portraits ou de lieux qui n’avaient pas encore été traités. Faire le malin et pouvoir dire je suis le premier ! Ou se contenter d’être moi-même et d’assumer mes héritages pour donner un point de vue contemporain. Parce que les USA changent. Parce que je crois à la pertinence des regards venus de l’extérieur. Ni photo-reporter, ni journaliste, j’ai adopté le point de vue du visiteur, du marcheur, de celui qui traverse les espaces et suit sa route pour la confronter à sa mémoire et à ses connaissances. C’étaient les années Clinton, puis les années Bush…L’idée du « puzzle » s’est vite imposée. Chaque pièce est différente, biscornue, improbable, saillante, déconcertante… Mais chacune prend sa cohérence dans l’assemblage final. Je voulais faire cohabiter le western et le jazz, Faulkner et Kodak. La ville et la campagne, Orlando à 6 h du matin et Kodak City. En cours de route, j’ai décidé que New York n’y trouvait plus sa place, j’en ai enlevé les images.

Puis j’ai repris mon parcours et j’ai (re)trouvé mon Amérique : celle que je hais, celle que j’aime. Celle qui oublie si vite son histoire si courte, celle qui impose sa mémoire visuelle à tout photographe qui s’y rend. Aux USA,  je n’avais pas le choix, j’ai assumé mes influences : j’ai rencontré « par hasard » le tricycle d’Eggleston, les femmes de Winogrand, les drapeaux de Frank, les coins de rue de Stephen Shore, les carrefours de Friedlander, les façades d’Evans… Autant de hasards objectifs que j’ai pris plaisir à réinterpréter. Le thème est là. Restait à faire varier la tonalité et le tempo.

(Jean-Christophe Béchet)

Né en 1964 à Marseille, Jean-Christophe Béchet vit et travaille depuis 1990 à Paris. ll a auparavant suivi des études d’économie (Aix-en-Provence,1982-1985), puis de photographie (Arles,1985-1988) avant de séjourner et de voyager deux ans en Afrique de l’Ouest (1988-199o). Depuis 1994, il collabore au magazine Réponses Photo dont il est le rédacteur en chef des numéros Hors-Série semestriels. Héritier de la « photo de rue », qu’elle soit américaine, française ou japonaise, il a choisi de ne pas abandonner le terrain du « document subjectif », associant reportage et paysage, portrait et architecture.

La place de l’homme dans le paysage contemporain, urbain comme naturel, est au centre de ses préoccupations. Il poursuit en ce moment un travail sur l’identité européenne et développe en parallèle une série de longue haleine sur la haute montagne. Ses travaux personnels ont débouché sur la publication de 12 monographies dont tout récemment Marseille, Ville natale chez Trans Photographic Press, éditeur également d‘American Puzzle et de la série des Carnets. Il est représenté par les galeries LWS et Les Douches, La Galerie.

Jean-Christophe Béchet, Orlando, Floride, série « American Puzzle »