imagerie

Le spectateur, le voyeur, l’amateur, cet homme privé de la faculté de créer que l’on appelle le public

se demande pourquoi il regarde depuis si longtemps,

pourquoi il scrute, cligne des paupières, écarquille les yeux, avance, recule, hoche la tête, tour à tour inquiet, serein, épanoui, pensif, se demande dans quel piège il est tombé.

Retrouvera-t-il demain, dans ses yeux encore fermés, ce qu’il a vu?

Des bleus, des bleus qui ne sont tout à fait ni de la nuit ni de la mer, des noirs rutilants, des blancs envahissants, de lait ou de plâtre, et puis des jaunes comme des lumières, des violets, des verts en taches ou en traits des espaces nouveaux où achèvent d’émerger ou de s’estomper les éléments que le peintre avait rassemblés, bribes d’images ou simples leurres — triangles ou sabliers, bulles, épis de blés, étoiles, fausses lettres placées à côté des vraies, vases, verres, amorce de corps peut-être, lumières de phares (ou bien seulement une courbe, un cercle) le tout fait avec tout et de cent techniques inventées : peinture, fusain,
carton, papier, collé, déchiré, superposé, huilé, suifé dirait-on…

Cette peinture dont il interroge sans se lasser l’équilibre : pourquoi une ligne si douce à côté d’un trait si abrupt? Pourquoi ce pointillé? Et si ce ton acide était trop près de tel autre?
Cette peinture qui lui donne l’envie stupide de contourner le châssis pour découvrir derrière une réalité cachée
cette peinture faite de sédimentations contemplatives qui sait aussi porter la trace de gestes immédiats.

Pourra-t-il l’oublier?
Pourra-t-il oublier ce qui lui paraît maintenant comme une fenêtre ouverte sur l’espace, ou comme la paroi d’un aquarium géant sécrété par
la mer
les couleurs, les respirations, les écrans successifs, le flux et le reflux
cette peinture qui s’est imposée à lui, et qui n’est là peut-être que pour
effacer la peur de vivre
cette peinture où la joie de regarder a rejoint celle de créer.

F.Vincent